De l’art de faire un (nième) deuil amoureux

Publié le par Vincent Espagne

Je sors toujours de ces moments de cafard (de moins en moins nombreux – le temps fait son travail, l’habitude de la solitude reprend le dessus !) en pensant à l’épanouissement de L. Il n’est pas, comme il l’a si souvent dit, seul responsable de ce qui s’est passé. Les torts sont partagés ! Avec le recul, j’assume ma part de responsabilité. J’étais aveuglé par le côté inespéré, magique de notre relation naissante. Mais je rejette complètement, comme lui, la grande différence d’âge comme simple raison. La visibilité de notre relation a du être un facteur déterminant pour son l’échec, telle que je me l’étais imaginée. Cela a du agir de manière inconsciente, et même si nous l’assumions, et on doit admettre que cela a contribuer au refus L. de plus s’engager. C’est une explication acceptable : derrière sa réplique « je ne le sens pas », il y a un modèle auquel je ne correspond pas. Mais j’ai cru en sa capacité, qui est mienne, de rejeter les modèles. J’ai toujours pensé qu’une relation est durable, si justement elle renverse les clichés pour innover constamment, multiplier les combinaisons, jouer de la surprise… Je reste convaincu qu’il est dans cette dynamique (sa détermination un devenir qu’il a choisi en est une preuve) ; et, du coup, je serais très admiratif, respectueux et attaché à celui qui réussira avec L. ce que nous avons tenté ensemble. Lui seul échappera à ma jalousie secrète.

L. aux tétons bleus (d'après une photo de LucOlivier)

De tout cela, nous en sortons un peu plus grandis. De mon côté, j’ai tenté cette conjugaison difficile entre l’amant et le Pygmalion, un équilibre fragile et difficile en moi : concilier le pouvoir de l’initiation et le désir de soumission ; pour constater aujourd’hui qu’il me faut trouver comme partenaire une perle très rare ! Reste cette question à laquelle personne n’a de réponse alors que des kilotonnes de pages ont été écrites. De quoi est faite cette alchimie de l’amour ? L. De quoi sont fait nos philtres ? Des scientifiques pourraient nous faire la démonstration de phéromones qui ne concordent pas ! L. a usé de ce mot si facile : le felling.

Comme William Burroughs, je nourris le fantasme de la culture en injection intraveineuse. Cette idée doit le répugner ! Mais si c’était possible, je le forcerais à accepter l’aiguille ! It’s a joke !

Mon amant impossible devient mon bel-ami. Et, je ne joue pas d’un curseur qui irait d’une « amitié forte » à… quoi d’ailleurs ? Entre PD, nous fonctionnons comme une sorte de fratrie, chacun tente à sa manière de constituer des liens alternatifs à ceux rompus (ou tronqués) avec leur famille. Et pour revenir à ces molécules subtiles de l’attirance, ces véhicules de l’échange, si certaines des siennes ne collent pas aux miennes, beaucoup d’entre elles ont un possible devenir une fois assemblées ! Nous resterons mutuellement des ressources, et j’abonde dans celles qui lui ont tant manquée dans durant son enfance et son adolescence, celle des choses de l’esprit, de l’esthétique, des concepts…, essentielle à l’épanouissement et à la révélation de son talent. Je ne prétend pas être le seul à jouer ce rôle, mais il sait désormais que c’est chose rare dans ce monde de brutes et de tapioles décérébrées. Quant on en trouve une, il faut l’entretenir (la source, pas la tapiole… quoique !).

Je viens de lire le très beau livre de Bruce Benderson : « The Romanian » (en français d’après le traducteur « Autobiographie érotique » - sic.- 2004 Payot et Rivages). Ce texte venait à point pour mieux comprendre ce qui s’est passé entre nous. Certes L. ne ressemble pas du tout à Romulus et le contexte est différent. Mais j’ai trouvé, dans la relation de ce dernier avec Bruce, beaucoup de points communs à la nôtre. L’auteur trouve quelques bonnes raisons à l’échec de la leur. Je les partage. Romulus, épicurien, n’arrive pas à ce faire à l’idée que le frère et l’amant peuvent, dans la relation homosexuelle, se mélanger. Et l’auteur de culpabiliser sur le fait que les homosexuel(le)s peuvent assumer par procuration le fantasme universel de l’inceste. Notre système d’attirance/répulsion est pétri de morale et, à bien des égards, ce n’est pas très productif et novateur ! La plupart d’entre nous reproduisons, dans la construction de nos couples, ce qu’il a de pire, en banalités, clichés et poncifs… dans le couple hétérosexuel. J’ai espéré qu’avec L. j’allais rompre définitivement avec ce schéma. Il ne m’a pas suivi et a préféré en rester « là ». Je n’en mourrais pas – ce n’est après tout qu’une nième tentative et L. a la vie devant lui ! En fait, ce fut un vrai moment de bonheur que d’avoir goûter à ses saveurs multiples. Il sait aussi que je serais définitivement jaloux (sans conséquence, je l’ai rassuré !) de tout ceux qui y auront droit ! Et que je suis particulièrement « accros » à celles de son intelligence, de son imagination, de sa générosité, de sa tendresse. Comme Romulus,, l’amant impossible devient le bel-ami dans une relation vraiment durable, le vrai-faux-petit-frère jouit d’un privilège, celui de soumettre son Pygmalion à ses caprices. Et Bruce, pour satisfaire son désir de soumission, pourrait y céder à nouveau. Sans tirer aucun plan sur une comète, sans aucune arrière-pensée, je reste entièrement à la disposition de L. et attends que qu’il me surprenne !

Et si un jour, il lui prend à de connaître qui est le Bel-ami (Colette n’est, hélas, pas dans les programmes scolaires ordinaires !), il s’apercevra qu’il ne ressemble pas non plus à l’amant infernal de l’écrivaine. Mais, j’ai, pour l’instant, pas d’autre adjectif pour qualifier notre relation qui restera, quoiqu’il arrive, belle.

Publié dans Humeurs

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