Resister - Vivre la mémoire

Publié le par Vincent Espagne

Vers un deuxième acte ?

Au printemps 1994, nous nous retrouvons rue Sedaine à une quinzaine. Certains ont travaillé longtemps dans ses locaux, d’autres aujourd’hui y militent. Les plus anciens se souviennent des assemblées générales du FHAR dans le préfabriqué de l’Ecole des beaux arts, François montre des photographies des premiers défilés. Sur ses images, on en reconnaît beaucoup. Certains sont morts, d’autres, on n’a aucune nouvelle… Les séances du groupe sont graves. L’appel vient des plus jeunes. Leur génération fait fasse au sida, la précédente avait du rendre visible la différence. L’homosexualité devient un vecteur marchand et c’est par celui là même que se propage le plus facilement le virus. Les homosexuel(e)s s’organisent en une myriade d’associations et un « centre » tente de les fédérer. On dépose des logos, des titres de presse. Radio Fil rose devient FG...

Les startellettes en piste ! En quelques mois de préparation de l’acte 1, (pas grand-chose : une exposition à Paris puis à Amsterdam en juin, une brochure), je réalise combien la tâche peut être difficile. A la question : qui détient les fonds, les épaules se rentrent, les rancoeurs émergent… Avec tout son art, Audrey nous obtient quelques planches que Frank Arnal avait crées en 1979. Le problème, c’est que le projet d’un centre d’archives et de documentations existe dans les têtes depuis quelques années. J’en avais déjà entendu parler dans les anciens locaux du CGL à quelques mètres du Dupleix ! Pendant toutes ces années d’agitation égocentrée (à Pablo, à Jean : n’avez-vous pas le sentiment d’un immense gâchis ?), rien ne s’est fait et rien n’est fait encore, sinon un dossier quelque part dans un bureau du cabinet du maire de Paris. L’institutionnalisation avant l’existence de l’établissement : en voilà une avancée ! Que sont devenues les archives de Guy Hockeinghem, celles de Michel Cressole, celles de Gilles Chatelet ? J’apprends que celles de Gay Pied (ou du moins ce qu’il en reste) sèchent dans des cartons quelque part dans Paris, (propriété d’un organe de presse ?)

Confisquer la mémoire, c’est entretenir la discrimination.

Depuis, c’est sans cesse que des garçons découvrent avec stupeur dans ma bibliothèque « 3 milliards de pervers  - Grande encyclopédie des homosexualités » (1973) et demandent à entendre mon témoignage, un petit bout d’histoire, désir très important puisqu’elle les concerne en premier chef. Et je réalise à chaque fois combien la confiscation de la mémoire est un acte plus qu’inconsidéré ! Ne pas faire vivre la mémoire, la rendre visible, c’est la bafouer. C’est pratiquer une discrimination entre ceux qui savent, ceux qui détiennent et ceux qui doivent savoir. C’est entretenir la suspicion, voire la honte. C’est jouer de la spéculation sur un patrimoine collectif.

Aujourd’hui, combien d’entreprises citoyennes font vivre la mémoire ? CKG – à Lille (http://www.gaykitschcamp.com/) et celle de Hoang à Vitry sur Seine (http://www.archiveshomo.info/), bientôt une à Lyon. Des structures, non pas rivales mais complémentaires avec leur dynamique propre. Tout cela devrait être immédiatement, de manière permanente et directement visible. Il s’agit de témoigner des résistances, des luttes, de faire vivre une culture, ou du moins de tenter la démonstration qu’il en existe une. C’est rendre visibles les immenses influences, les apports intellectuels et sociaux, l’histoire d’une communauté qui n’en est pas vraiment une.

Mais quelle importance à vouloir faire vivre la mémoire, dès lors que D. (25 ans), revendique le droit à l’indifférence et qu’il réfute la folle attitude qui, pourtant, le caractérise ? Je ne peux m’empêcher de lui rappeler ce que les acquis qui sont les siens aujourd’hui le sont parce qu’avant lui, des folles se sont battue pour les obtenir. Il n’était question ni de droit à la différence ou à l’indifférence, mais de celui à l’existence. Puis, en quelques années, le sida a transformé nos organisations naissantes. Que sont devenus les mémoires de nos pairs, de nos amants disparus ? Certes, « Les homosexuel(e)s se reproduisent de bouche à oreille » (Place Saint Ravy, Montpellier, 1980)… En 2005, on pend les homosexuels à quelques heures d’avion d’ici… En ces temps de retour de l’ordre moral, le texte/manifeste de Gilles Chatelet « La République des chiennes ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas » (voir ci-joint) est toujours de vigueur. Pour résister, faire vivre la mémoire. Vers un deuxième acte ?

Publié dans Humeurs

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